samedi 12 mars 2016

Ça va bien finir par péter !

Olivier Cabanel                        

On connait la discrétion des exploitants des centrales nucléaires, qui minimisent systématiquement les accidents à répétition qui s’y produisent, allant même jusqu’à quasi les dissimuler…jusqu’au jour où des journalistes perspicaces finissent par découvrir le pot au roses.

On découvre aujourd’hui ce qui s’est passé au printemps 2014, dans la centrale de Fessenheim, dans la plus parfaite discrétion.
Pour bien comprendre la problématique nucléaire, il s’agit d’une banale histoire d’eau, banale et pourtant essentielle, car toutes ces « marmites nucléaires » doivent être refroidies en permanence, et si, par malheur, les tuyaux qui véhiculent cette eau servant au refroidissement deviennent défaillants, on va vers des gros problèmes. lien
C’est l’emballement du réacteur, et si le circuit de refroidissement n’est pas restauré rapidement, il y a un point de non-retour, comme à Tchernobyl ou Fukushima : la fonte du réacteur, avec les conséquences que l’on sait : un corium qui se crée, s’enfonce dans le sol, et produit pendant des centaines d’années une monstrueuse pollution sans qu’il soit possible de la contenir.
À Tchernobyl, on sait que des milliers d’hommes ont laissé leur vie pour stopper l’enfoncement de ce corium, et qu’un sarcophage a été construit pour limiter en partie les rejets dans l’air.
À Fukushima, aucune solution à ce jour n’a pu réellement être mise en place…
Alors que s’est-il passé un vilain jour du printemps de 2014 ?
À 15h51, une « fuite d’eau » avait endommagé les circuits électriques, et un des deux réacteurs a du être arrêté en urgence, et pourtant Sophie Letournel, chef de la division de Strasbourg de l’ASN, a affirmé « la centrale n’a jamais été dans une situation qui aurait nécessité un arrêt d’urgence  ».
Toujours est-il qu’il a fallu utiliser du bore, lequel a été injecté dans le réacteur, afin de provoquer un arrêt d’urgence.
À ce stade, il faut se poser la question : « Pourquoi utiliser du bore », alors qu’il suffisait de provoquer la chute des barres de commande, ce qui est la pratique règlementaire lorsque l’on veut arrêter un réacteur ?
L’ASN a donc fait parvenir toute une série de questions, auxquelles l’exploitant a répondu : « les barres servant au ralentissement de la réaction nucléaire (…) n’ont pu être manœuvrées », et selon des journalistes allemands, la fuite d’eau aurait mis « un système de sécurité hors de combat  ».
On comprend donc que si cette procédure a été utilisée, c’est que le dispositif d’arrêt d’urgence ne fonctionnait pas, et s’il ne fonctionnait pas, c’est que la fuite d’eau a du être très importante pour provoquer de tels dégâts.
Pourtant, malgré la gravité de « l’incident », ce dernier a été classé « 1 » sur une échelle qui en compte 7.
Bien sur, au plus haut niveau, on tente d’étouffer l’incendie médiatique, minimisant comme d’habitude « l’incident ». lien
Le plus intéressant est de découvrir comment « l’incident » avait été présenté à l’époque, puisque la communication faite par l’exploitant se limitait à évoquer une fuite… lien
En Allemagne, on évoque pourtant un « grave incident  ». lien
Espérons que nous en saurons un peu plus bientôt, mais ce qui est sur, c’est que cet « incident » s’ajoute à une liste déjà longue, commencée il y a longtemps.
Un autre point de fragilité de ces centrales est celui des générateurs de vapeur, consistant en un faisceau tubulaire composé de 3500 à 5600 tubes, lesquels sont destinés à utiliser l’énergie du circuit primaire afin de transformer l’eau en vapeur, laquelle va alimenter la turbine qui produira l’électricité.
Or, depuis 2006, des dégradations de ces tubes sont régulièrement constatées, provoquées par des « fissures de fatigue », ou leur nettoyage chimique…Il arrive aussi qu’un colmatage progressif, par dépôts d’oxydes, entraine des vibrations, lesquelles provoquent un développement rapide de fissures, et plus une centrale nucléaire à d’années d’existences, plus ces incidents se multiplient, provoquant dans un 1er temps, l’arrêt des réacteurs. lien
S’il faut en croire l’ASN (l’autorité de sûreté nucléaire), les phénomènes de corrosion se multiplient concernant en priorité 8 réacteurs nucléaires français : Bugey 2 et 3, Fessenheim 2, Gravelines 3, Chinon B2 et Blayais 2,3 et 4.
C’est ainsi que le 18 février 2008, la centrale nucléaire de Fessenheim a subi une fuite du circuit primaire, fuite dont l’origine est la fissuration d’un tube.
Lorsqu’un tube présente des défauts, l’exploitant décide de boucher celui-ci, mais il arrive que la procédure ait été mal réalisée, et le bouchon se déplace sous l’effet de la pression, se retrouvant finalement à l’autre extrémité du tube : c’est ce qui s’est passé dans la centrale de Saint-Alban en mai 2008, ou en février 2009 dans le réacteur n° 3 de la centrale de Paluel.
Ces problèmes de « bouchons qui se déplacent  » peuvent aller jusqu’à son éjection brutale, comme dans la centrale nucléaire de North Anna, aux USA, en 1989. lien
En octobre 2015, un problème de joints a été détecté sur les 2 réacteurs en fonctionnement de la centrale de Flamanville. lien
S’ajoutent à ces problèmes de bouchons, de corrosion, de vibrations intempestives, de joints, la vétusté des installations, la dégradation du béton, (lien) et les manœuvres accidentelles, dues à des « étourderies » : on sait que le facteur humain est l’une des principales causes des accidents nucléaire, si l’on veut bien en croire de nombreux rapports officiels évoquant la multiplication des erreurs humaines dans les centrales nucléaires françaises. lien
Pas étonnant dès lors que la Suisse, le Luxembourg, et l’Allemagne viennent récemment de demander la fermeture immédiate de Fessenheim, Bugey, et Cattenom.
La centrale nucléaire de Bugey, l’une des plus vieilles de notre pays, étant à 70 km de Genève, on comprend l’inquiétude helvétique et la plainte déposée le 2 mars dernier. lien
Quant à Fessenheim, elle se trouve à la frontière allemande, et on ne peut s’étonner de la demande germanique, par la voix de Barbara Hendricks, ministre de l’environnement du gouvernement Merckel, réclamant par courrier à Ségolène Royal, la fermeture dans les meilleurs délais de cette vieille centrale dangereuse. lien
Les centrales nucléaires belges, et celle de Cattenom en Moselle suscitent aussi les inquiétudes légitimes allemandes, dénonçant l’insécurité de cette centrale mosellane, le Luxembourg ayant à l’occasion saisi la Commission européenne.
En effet, sur la base d’un rapport, signé par le professeur Manfred Mertins, lequel a comparé les normes en vigueur internationales concernant la centrale de Cattenom aux normes de cette dernière.
C’est la douche froide : tremblements de terre auxquels la centrale n’est pas préparée, inondation, crash d’avion, défaut d’alimentation électrique, efficacité du refroidissement du réacteur, l’expert dresse une longue liste de ce qui n’est pas acceptable. lien
Ajoutons à ça la débâcle financière d’EDF, ponctuée par le départ de son directeur financier, Thomas Piquemal, lequel s’inquiète des dérives financières des EPR, en Finlande, en Angleterre (Hinkley Point) ou à Flamanville.
Il est en total désaccord sur la faisabilité du projet de la centrale EPR d’Hinkley Point, et son départ à provoqué une chute du titre d’EDF, perdant à l’ouverture de la Bourse de Paris plus de 8%. lien
Pourtant, malgré ses promesses de réduire la part du nucléaire en développant les énergies propres, Hollande s’obstine à faire la promotion du nucléaire, puisqu’il a maintenant lié l’éventuelle fermeture de Fessenheim au démarrage de l’EPR de Flamanville, prévu maintenant à fin 2018, mais qui devait l’être en 2012, qui ne devait coûter que 3,3 milliards d’euros, coût porté aujourd’hui à plus de 10 milliards, ce qui est une mauvaise nouvelle pour les finances de l’état, ce dernier étant actionnaire à 80% d’EDF.
Ce qui n’a pas empêché l’ex verte Emmanuelle Cosse d’affirmer que Fessenheim sera fermée fin 2016lien
Les casseroles que traîne cette centrale « modèle » de Flamanville, présentée comme le fleuron de notre industrie nucléaire, se sont accumulées au fil des années : des fissures dans le béton de la plateforme ont suspendu les travaux pendant un mois, 2 ouvriers y ont perdu la vie en 2011, alors que sont évoqués des trous dans le béton, et des manques de ciment par endroits, le bétonnage est de nouveau suspendu en 2012, en avril 2015 une « anomalie » est découverte dans la composition du couvercle de la cuve, et au fond de celle-ci, en juin de la même années, des difficultés de fonctionnement des soupapes de sûreté sont constatées…lien
En attendant, à Fukushima, ce sont 20 millions de mètres cubes de déchets radioactifs qui sont entassés sur 70 000 lieux de stockage, en attendant d’être enfouis dans une zone rouge ou la vie humaine ne sera plus possible. lien

Comme dit mon vieil ami africain : « les paroles sont comme l’œuf, à peine écloses, elles s’envolent ».

agoravox.fr

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